Entretien Causes Communes
Thierry APOTHÉLOZ
Conseiller d’état chargé du Département de la Cohésion sociale
Le 21ème siècle sera numérique. D’un point de vue socialiste, on peut s’en méfier. La numérisation galopante ne consiste-t-elle pas en la perte du contact humain ? La numérisation de la société n’est pas un problème en soi. Ce sont les ratés de son accompagnement qui peuvent le devenir. Notre responsabilité consiste à accepter le progrès pour ce qu’il est et surtout à le transformer en ce qu’il devrait être.
Sylvain Thévoz : La sécurité des données est-elle ta priorité ?
Thierry Apothéloz : Que les collectivités publiques se doivent assurer la sécurité des données, c’est une évidence. De récents piratages dans d’autres cantons le confirment, et pas seulement dans le secteur public. Mais je veux me placer du point de vue de l’usager et de l’usagère. Et si, contrairement à une idée répandue, la numérisation des administrations allait lui simplifier la vie? Je le pense et je mesure l’ampleur du chantier. Le site de l’État n’est pas optimal, la e-administration est compliquée et la communication numérique officielle fourmille de formules absconses. Cela doit être corrigé.
Qu’est-ce qu’une bonne prestation numérique?
C’est selon moi celle qui permet l’accès aux informations pertinentes, mais plus encore: elle peut limiter le non-recours aux prestations sociales. Non pas en remplaçant le contact humain, mais en le préparant, tant par l’information délivrée que par l’envoi préalable de données ou documents permettant un examen facilité. Quand c’est simple, on y va. Ce qu’il faut, c’est mettre les gens à l’aise. Le fléchage doit être simple, l’approche dédramatisée et l’information, claire et directe.
Comment assurer le développement des prestations sociales?
Il passe évidemment par la simplification de leur accès. Le DCS a investi beaucoup d’énergie pour clarifier son langage numérique, mais il faut reconnaître que les pouvoirs publics, globalement, sont en retard; tant que l’idée prévaudra selon laquelle le numérique est un mal nécessaire, plutôt qu’un bienfait, on va stagner. La précarité va s’accroître et donc l’isolement aussi. Or l’isolement, on le sait, est l’un des fléaux qui guette la révolution démographique qui nous attend, avec le vieillissement programmé de la population qui va voir le nombre de seniors et aîné.es doubler en l’espace d’à peine trente ans! Notre rapport au numérique doit avant tout se baser sur cette donnée. On encourt sinon le risque d’un clivage générationnel du même acabit que celui qui a prévalu lors de la généralisation de l’informatique domestique à l’orée des années 90.
Les senior-es sont-ils un public particulier dans ce domaine?
J’ai confiance en nos seniors, qui en ont vu d’autres et qui sont parvenus finalement tant bien que mal à prendre en marche le train du numérique. J’en veux pour preuve la Plateforme du réseau seniors, qui est le centre de compétence et d’information le plus complet sur la thématique du vieillissement, lequel rassemble aujourd’hui en ligne des services et activités présentés par publics cibles et par prestations[1]. Comme souvent, de petites initiatives paraissent inspirantes.
Côté services publics, la commune de Choulex a développé aussi une application intelligente qui mérite la visite[2] et qui démontre que les collectivités publiques aussi commencent à entrevoir les énormes potentialités du numérique pour se rapprocher de leurs administré.es. Il est par ailleurs étonnant que le développement des applications, que nous utilisons toutes et tous si facilement au quotidien, ne soit pas encore devenu une priorité des collectivités publiques pour se rapprocher de ses administré-es.
Et pour l’avenir?
Nous ne sommes ainsi encore qu’aux balbutiements de notre rapport au numérique en termes d’augmentation de l’efficacité du service public. Je n’ai cependant pas de doute sur l’accélération prochaine de cette tendance, tant le champ des possibles me paraît immense. Certes, les récentes attaques malveillantes envers les systèmes informatiques qui ont été largement relayées par la presse, nous poussent à la plus extrême prudence dans la gestion des données personnelles. Mais c’est là un problème technique. Nous parviendrons à le résoudre, pour une technologie débarrassée de ses risques, au service des citoyen-nes. Et au service de la cohésion sociale.
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[1] https://www.plateformeaines.ch/prestations/
[2] Application – communeagence.ch