Entretien Causes Communes
Anne EMERY-TORRANCITA
Conseillère d’état chargée du Département de l’Instruction publique, de la formation et de la jeunesse (DIP)
L’école joue un rôle-clé dans l’éducation au numérique, afin de développer les compétences et la culture numérique et en soutien aux évolutions pédagogiques, nécessaires pour former des futur-es citoyen-nes responsables dans un monde où les enjeux posés par le numérique sont nombreux. Le département de l’instruction publique (DIP) est en charge de mettre en œuvre l’éducation au numérique à l’école, et Causes Communes s’est entretenu avec notre Conseillère d’Etat pour un tour d’horizon des derniers développements.
Dalya Mitri : Présentez-nous les enjeux du numérique à l’école : quel est la mission de l’école dans l’éducation au numérique ?
Anne Emery-Torracinta : Il faudrait d’abord distinguer l’éducation au numérique à l’éducation par le numérique. On ne cherche évidemment pas à fabriquer des informaticiens depuis l’école primaire, mais à former les élèves au numérique.
La politique de l’éducation au numérique s’articule autour de trois axes :
-La science informatique elle-même, sous forme de jeux de logique pour les plus petits ou à des notions simples de programmation au collège et à l’ECG (Ecole de Culture Générale)
-La maîtrise des outils informatiques, comment identifier le bon outil et comment l’utiliser, de manière écologique notamment.
-Enfin, la culture numérique, qui s’inscrit dans plusieurs dimensions des disciplines d’enseignement. On utiliserait des approches transversales pour aborder les questions de protection des données, la prévention des abus, la sensibilisation aux risques et la sécurité en ligne, et de là, aborder plusieurs questions sociétales.
L’idée fondamentale est de préparer les élèves à être des citoyens et à se mouvoir dans un monde numérisé. C’est une erreur de penser qu’on peut éviter le numérique, qui reste un outil fantastique s’il est bien utilisé. L’éducation au numérique n’a pas pour but de remplacer les livres par des ordinateurs ou des tablettes ! Ces outils ne sont utilisés que s’ils présentent une plus-value pédagogique.
Quels sont les derniers développements au niveau de la mise en application de ce programme ?
Deux projets de lois sont actuellement en discussion au Grand Conseil, l’un pour équiper les cycles et le secondaire II de connexion Wi-Fi, et le deuxième concerne l’équipement informatique dans les écoles (notamment tablettes, ordinateurs, robots).
Ce dernier a été élaboré en suivant le programme de l’école obligatoire et conformément aux objectifs du plan d’études romand, et en consultations avec les enseignant.es. En décortiquant les programmes et plan d’études et en établissant les besoins en conformité avec ces points, on est arrivé au minimum d’équipement nécessaire. Par exemple, les tablettes ne seront utilisées dans le cycle élémentaire que pendant 10 périodes en tout et pour tout sur quatre années de scolarité, pour familiariser les plus petits à plusieurs dimensions du numérique ; des séquences où l’outil est utilisé de manières différentes (pour enregistrer par exemple, ou prendre des photos) dans un travail pédagogique accompagné.
Le débat qui entoure le travail autour de ces PL est compliqué par le fait que beaucoup de personnes se posent en expertes de la pédagogie et de l’enseignement, et que les avis divergent énormément. Il y a aussi des réticences dues au fait que l’intérêt pédagogique ne devrait pas effacer les problématiques telles que l’obsolescence des outils, l’utilisation de l’énergie ou la pollution numérique.
A votre avis, quelles sont les causes des réticences rencontrées par ce projet ?
Certaines réticences se portent autour de notre dépendance aux GAFAM. Le DIP propose pourtant un projet pilote, au cycle de Budé, sous forme d’une plateforme en open source hébergée chez un acteur local. Donc une réflexion autour de cette dépendance et comment en sortir est en train d’être menée.
Certains craignent également l’abus d’écran. Les positions du collectif RUNE reflètent cette inquiétude. Or, il serait dommage, si les abus existent en effet, de priver les enfants d’éducation au numérique: l’école a pour mission d’apprendre à traiter l’information, à vérifier les sources, à les confronter et à développer son esprit critique. Nombre d’associations de parents et enseignant-es ont été consultées et sont favorables à cela. Ne nous leurrons pas, les enfants sont très tôt confrontés au numérique, ne serait-ce qu’à travers des smartphones présents à la maison. L’éducation au numérique permettra de disposer de clés pour maîtriser cet outil.
Il faut également ajouter que certaines oppositions sont des postures purement politiques et non idéologiques. Ce n’est pas un clivage classique gauche/ droite autour du sujet! Pour en revenir aux équipements prévus par le PL, ces équipements sont en conformité avec le programme intercantonal, des cantons romands, et même prévus par ordonnance fédérale pour le secondaire II.
Comment concilier les impératifs techniques et pédagogiques et le temps politique, qui peut sembler long ?
Le débat au Parlement a retardé la mise en application de notre programme. Revoir les projets a été coûteux, et plus de deux années se sont écoulées pour estimer les besoins à l’aune de chaque objectif d’apprentissage, inclure les syndicats d’enseignant-es dans l’élaboration de ce programme, présenter ce matériel dans les écoles, et pour finir, arriver à baisser les coûts. Nous espérons que tout ce travail permettra à ce projet de loi de passer la rampe au Parlement de remporter l’adhésion des sceptiques, dont les préoccupations ont été entendues. Il serait dommage de retarder un programme, qui, tôt ou tard, devra être mis en application et qui incarne l’avenir de notre jeunesse: on ne peut pas « jouer » avec la formation de nos élèves.
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