Gérer une PME de 300 personnes : un job de parent bénévole

Dalya Mitri
Conseillère municipale Ville de Genève
Ancienne vice-présidente du comité du secteur Saint-Jean

Dans les crèches de la Ville de Genève, l’employeur légal est composé de bénévoles, en général des parents des enfants accueilli-es dans les institutions. Face à la multiplication des enjeux et de la complexité des tâches, ce système a fait son temps et le rôle des parents doit être repensé.

Causes Communes : Parle-nous de ton expérience en tant que vice-présidente d’un comité de crèche.

Dalya Mitri : Je me suis engagée dans le comité de parents de la crèche que fréquentaient mes filles, ne sachant pas vraiment ce qui m’attendait. Je pensais sincèrement et peut-être naïvement que j’allais faire partie d’un comité du type association de parents d’élèves, où on organiserait des fêtes de fin d’année, des bourses d’échange pour des jouets ou des livres.

Je me suis retrouvée catapultée, et je ne sais si mon ignorance était de ma faute ou à cause de certains problèmes de communication autour de ces comités de crèche, à la tête d’un secteur comportant environ 300 employé-es. J’étais la vice-présidente et je travaillais avec un président pour prendre des décisions concernant les ressources humaines et la gestion du personnel ; des décisions parfois très difficiles comme des licenciements ou des blâmes pour des com-portements jugés inadéquats, des conflits interpersonnels ou avec la hiérarchie.

C’était d’autant plus difficile que le secteur regroupait 6 institutions, dont 5 dont on ne connaissait ni le fonctionnement ni le personnel. On devait donc faire une confiance aveugle à la direction qui nous faisait re-monter les problèmes sans aucun moyen de vérifier les dires. C’était un travail prenant et parfois compliqué moralement parce qu’on devait prendre des décisions rapide-ment sans avoir véritablement de vision de ce qu’on était en train de faire.

Une autre frustration est venue du fait qu’on avait beaucoup d’idées pour communiquer autour du comité, afin d’attirer d’autres parents et les impliquer autour de sujets de fond ou des thématiques qui touchent le bien-être des enfants comme l’alimentation par exemple, mais on manquait de temps pour aborder ces thématiques parce qu’on était pris dans le quotidien d’une gestion, de documents à signer, de décisions à prendre. J’estime que nous n’avons pas vraiment réussi à nous faire mieux connaître des parents et parler de notre rôle. Il faut dire aussi que le COVID nous a empêché-es d’être plus visibles et d’établir un lien avec les parents. Nous n’avons pas pu non plus jouer notre rôle de courroie de transmission entre les parents et la direction, ou la Ville de Genève.

Selon toi quels sont les principaux problèmes de gouvernance qui se posent dans ce cas ?

Nous nous sentions un peu perdu-es parce que nous avions beaucoup d’interlocuteur-rices différent-es. Notre interlocutrice principale était la direction du secteur mais nous étions aussi les interlocuteur-rices des adjointes pédagogiques des institutions nous devions également solliciter l’aide du Service de la petite enfance à la Ville de Genève pour prendre des décisions et nous devions aussi suivre les réglementations émises par le SASAJ au niveau cantonal en ce qui concerne les dotations en personnel par exemple, ou les remplacements ou les mesures sanitaires. Cette multiplication d’interlocuteur-rices rendait nos prérogatives difficiles à définir. Le comité était l’employeur, de fait et de par la loi, mais nous ne savions pas dans quelle mesure nous pouvions réellement prendre des décisions sans les faire valider par d’autres instances. Pour résumer, le comité endossait les responsabilités d’un employeur sans en avoir pleinement les prérogatives. La réforme de la gouvernance est à entreprendre de manière urgente, afin de simplifier tout ce processus en définissant un employeur unique.

Dans le cas d’une municipalisation, comment envisages-tu l’avenir des comités de parents ?

Je voudrais rappeler ici que je suis une fer-vente partisane du bénévolat et c’est pour cela que je me suis engagée dans ce comité. Je ne remets donc pas du tout en question le rôle des bénévoles dans ces comités. Ce que je remets en question, ce sont les responsabilités parfois trop lourdes qu’on fait porter à une équipe de bénévoles qui n’est pas forcément formée pour cela. On disait parfois, en plaisantant avec le président, que nous nous étions retrouvé-es directeur et directrice bénévoles d’une PME de 300 personnes, ce qui est, vous en conviendrez, assez aberrant ! Nous devions prendre des décisions RH sans en avoir les compétences et sans avoir forcément l’envie. A l’avenir, les comités des crèches, afin d’attirer plus de parents et pallier au manque de renouvellement et aux dysfonctionnements de ces comités, devraient permettre aux parents de s’investir dans les projets qui concernent leurs enfants et laisser les problématiques de ressources humaines aux professionnel-les qui seront à la fois plus systématiques et plus compétent-es. Ces questions de gestion cannibalisent totalement l’engage-ment et sont extrêmement chronophages. La municipalisation paraît une solution tout à fait acceptable parce qu’elle permettra aux parents de se recentrer sur ce qui les intéresse vraiment dans leur engagement auprès de l’institution fréquentée par leurs enfants. Je pense sincèrement que les parents seraient ravi-es de s’impliquer autour d’organisation d’événements ponctuels ou de thématiques qui les touchent comme la sensibilisation à la transition écologique ou à l’alimentation