Le numérique, un outil de progrès social

  • 1 juin 2022

Entretien Causes Communes

Olga BARANOVA
Secrétaire générale CH++

Voilà bien longtemps que notre camarade Olga Baranova, ancienne Conseillère municipale en Ville de Genève, se passionne pour les enjeux numériques et alerte sur les retards des administrations publiques en la matière. Elle a participé au lancement de l’organisation CH++ en 2021 avec Marcel Salathé et d’autres personnalités. L’ambition est que la Suisse passe la vitesse supérieure en matière de numérisation. CH++ a pour ambition de s’adresser autant aux politicien-ne-s qu’à la population.  Pour Olga Baranova, il s’agit d’un enjeu vital pour notre démocratie. 

Sylvain Thévoz : Olga, qu’est-ce que CH++ lancé voilà un peu plus d’un an. Pourquoi as-tu rejoint cette organisation et quelles en sont les réalisations ?


Olga Baranova : En tant qu’organisation d’utilité publique, CH++ renforce les compétences scientifiques et technologiques du monde politique, de l’administration et de la société dans son ensemble.

Rejoindre cette organisation s’est fait de manière assez spontanée. On m’a sollicitée, j’ai immédiatement été convaincue par les objectifs et l’équipe. J’ai été intégrée au projet dès sa création, mais je ne l’ai rejoint en tant que secrétaire générale il y a six mois, après la fin de mon mandat en tant que directrice de campagne “Mariage pour toutes et tous”. Nous avons déjà de nombreuses victoires à notre actif, par exemple, le certificat COVID au développement duquel nous avons participé, la loi fédérale sur l’utilisation des moyens électroniques pour l’exécution des tâches des autorités que nous avons suivi de près depuis la mise en consultation ou encore notre analyse sur la gestion de crise que nous avons publié en janvier et qui a suscité beaucoup d’attention.  

Faut-il renforcer l’enseignement du numérique à l’école ?
Oui, absolument. Je salue d’ailleurs les efforts qui ont été entrepris dans le canton de Vaud en la matière et j’espère que Genève emboîtera rapidement le pas. Il n’est plus possible d’attendre. Les réticences politiques montrent que la politique n’a pas encore pleinement intégré l’évolution sociétale pourtant évidente. 

Un numérique de gauche, cela donne quoi ?

Aujourd’hui, à gauche, on a vite tendance à assimiler le numérique au capitalisme numérique et cela traduit une certaine capitulation face à cet enjeu. Pourtant, c’est un domaine que nous devons absolument conquérir pour en faire un outil du progrès social ! Je pense même que ce sera un enjeu pour la survie de la gauche en tant que force politique importante. Les données peuvent et doivent servir pour améliorer et mieux cibler nos prestations sociales, les outils numériques peuvent et doivent servir pour renforcer le service public, pour démocratiser l’économie, pour rendre notre système de santé plus axé sur les patient-e-s. Il y a tant à faire pour nous, les Socialistes, dans le domaine ! 

En quoi aujourd’hui le déficit numérique d’une partie de la population crée des risques pour des décisions démocratiques éclairées ?

Aujourd’hui, il est impossible de s’extraire du numérique – pourtant, pour la plupart (y compris moi-même), nous sommes des illétré-e-s : il s’immisce dans tous les domaines de la vie, mais nous ne savons ni lire, ni écrire une ligne de code. Cela pose inévitablement la question de notre souveraineté numérique et de notre capacité décisionnelle. Les conséquences sont réelles. l’État, en abandonnant ce domaine aux privés, a par exemple perdu toute influence dans certains espaces publics qui sont cruciaux aujourd’hui, dont les réseaux sociaux. Le numérique a également profondément transformé le paysage dans lequel évoluent nos médias « classiques ». Les recettes publicitaires contournent depuis des années les éditeurs suisses, mettant en danger la diversité et la qualité médiatiques. 

Comment la Suisse pourrait passer à la vitesse supérieure en matière de numérisation ?

Il faut un véritable changement de culture politique. Le numérique évolue extrêmement vite et nous n’aurons pas d’autre choix que d’adapter la vitesse des prises de décisions démocratiques. Le changement est possible. En moins d’une année, nous avons réussi à convaincre le Conseil fédéral de créer une structure digne de ce nom pour gérer la cybersécurité. Il faudra sortir partout de la « pensée en silo » et d’une décentralisation outrancière des décisions quant au numérique. Un des défis pour y arriver, c’est d’accroitre massivement les compétences dans la politique et l’administration. Finalement, le numérique nous oblige quelque part à réinventer l’État. La pire des erreurs serait de simplement numériser la bureaucratie. 

Tu es passionnée par les nouvelles technologies. Qu’est-ce qu’un-e geek pour toi et comment expliques-tu parfois le côté négatif associé à ce terme ?

C’est assez drôle comme description, parce que je ne suis pas particulièrement une geek. Je suis, avant tout, une passionnée d’un État qui fonctionne et qui remplit son rôle, qui base ses décisions sur l’évidence scientifique et qui les met en œuvre grâce à la technologie. Bien sûr, j’aime les jouets technologiques, mais faire de la technologie pour de la technologie ne m’intéresse absolument pas. Ce que je souhaite, ce pourquoi l’organisation dont je suis la secrétaire générale existe, c’est des conditions-cadres nouvelles pour que la Suisse puisse mieux affronter ses nombreux défis. Le numérique et les technologies y jouent bien évidemment un rôle central, tellement central que ce sujet ne doit plus être abandonné aux expert-e-s. Je comprends la difficulté que les gens, y compris de nombreuses et nombreux élu-e-s puissent avoir à affronter ces sujets, mais on ne peut tout simplement plus s’en passer. 

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