Lancy : connaître dossier et terrain pour convaincre

Salima Moyard
Conseillère administrative à Lancy

La magistrate de Lancy nous explique comment s’y prendre pour faire accepter la municipalisation sitôt élue. (Remarque : cet entretien a eu lieu avant le lancement par la droite locale d’une l’initiative demandant une fondation.)

François Mireval : Peux-tu nous donner quelques chiffres pour comprendre la situation actuelle à Lancy ?

Salima Moyard : La commune héberge 35’000 habitants. Son administration em-ploie près de 270 personnes (équivalents temps plein). La petite enfance y ajoutera 274 personnes au moins pour les quasi 800 enfants qui fréquentent l’une des 10 crèches ou garderies ou encore l’accueil familial de jour. La liste d’attente, quant à elle, est longue de 400 noms.

La municipalisation de ce service vient d’être acceptée par le Conseil municipal, très peu de temps après ton élection au Conseil administratif. Comment as-tu réussi à obtenir ce magnifique résultat ?

C’est un long processus, entamé alors que j’étais députée au Grand Conseil. Il s’agissait de mettre en œuvre la loi exigeant que les collectivités répondent aux besoins en matière d’accueil préscolaire. J’ai déposé un projet de loi dont l’esprit a été conservé dans la loi votée, laquelle prévoit une contribution du Canton et des employeurs. Cette contribution versée aux communes dépend non seulement de leur richesse, mais aussi de leurs efforts en la matière. Ayant rédigé plusieurs textes parlementaires sur le sujet, c’est un dossier que je maîtrise assez bien !

Quand je me suis présentée à la Mairie de Lancy, j’ai beaucoup axé ma campagne sur ce thème. Il faut dire que les subventions aux institutions de la petite enfance (IPE) représentent 15% du budget communal, allouées quasiment les yeux fermés ! Même au moment des comptes, il n’y avait pas de réel contrôle par la commune de l’usage effectivement fait de ces montants, ni de l’efficience de la gestion financière ou res-sources humaines (RH) ; juste un contrôle de conformité des écritures comptables aux normes en vigueur (MCH2 actuellement).

Peu après mon élection, dès la rentrée 2020, j’ai réuni chaque semaine les directions et présidences de comité des crèches et garderies ainsi que la coordination des structures d’accueil de jour pour échanger en profondeur sur leurs différentes pratiques, en vue d’aboutir à une « politique lancéenne de la petite enfance » qui vient d’être présentée au Conseil municipal et validée par le Conseil administratif. Nous avons ainsi pu nous mettre d’accord sur les objectifs à atteindre et les moyens à déployer pour en faire une vraie prestation de service public. De plus, deux crèches sont en construction, deux garderies sont en cours d’agrandissement et ce n’est de loin pas fini au vu de l’évolution de notre démographie. Ce temps plutôt long a permis, entre autres, l’élaboration dès l’automne 2020 d’un règlement commun aux 11 entités représentées : cette réussite, garante notamment de l’équité de traitement entre les demandes, était une grande première à Lancy !

Les institutions concernées ont-elles bien accepté l’idée de cette municipalisation ?

Pour que le projet puisse continuer son chemin, et pour calmer les inévitables tensions liées à une telle réforme, il m’a fallu montrer ma proximité avec le terrain, entendre leurs craintes et leurs propositions, d’où ces réunions régulières pour avoir le temps de véritablement échanger. Cela a été très apprécié. Les nombreuses et diverses inquié-tudes, différentes d’une entité à l’autre, ont pu ainsi s’exprimer et des réponses adap-tées être apportées. Pour avoir fait partie d’un comité de crèche plusieurs années, je connais de l’intérieur les difficultés auxquelles il faut faire face, et j’ai pu expliquer et démontrer l’efficacité des améliorations à venir. Ces moments d’accompagnement au changement rassurent et préparent la transition entre un fonctionnement en silo et une nécessaire mutualisation. Ce cocktail (proximité, réponses, aides) semble avoir atteint l’objectif souhaité.

Et comment as-tu convaincu le Conseil municipal (CM) de te suivre ?

Pour la première fois de l’histoire de Lancy, le CM a une majorité de gauche, dans laquelle le Parti socialiste est le premier parti ! C’est le facteur le plus important, même si la droite n’a pas osé s’opposer frontalement à la municipalisation. Il a fallu tout de même six séances de commission, record lancéen, pour convaincre. Les auditions de plusieurs magistrat-es d’autres communes ont permis de comprendre les différents modèles possibles. Par exemple, une magistrate PLR a reconnu que la municipalisation du seul pôle administratif dans sa commune n’offrait pas une gouvernance suffisante ; même problème relevé par une autre magistrate ayant une fondation communale en charge de cette problématique…

Est-ce sur le coût de cette municipalisation que les réticences s’expriment ?

Bien sûr, car dans notre modèle la bascule sera immédiate et totale (pas de double système en parallèle) avec une LPP nettement améliorée pour le personnel, le tout en faisant certaines économies ! En effet, les actuels comités des crèches sont souvent passablement généreux avec leur gestion des finances ou des RH. Ainsi, sur l’ensemble de Lancy, les IPE emploient environ 15% de personnel de plus que nécessaire selon les normes légales. De plus, elles ont également pu thésauriser une partie de leurs subventions. Ces deux ressources permettront de financer, non seulement la municipalisation des IPE existantes sur les deux premières années, mais aussi une bonne partie des coûts de fonctionnement des nouvelles crèches aujourd’hui en construction.La gauche sait être efficace dans la gestion d’une grande commune !

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